Avant que vous n'entamiez votre lecture, veuillez me pardonner l'aspect purement anachronique de cet article.Les légumes issus de plantes sauvages locales ou très anciennement cultivées accueillent une faune très variée. En revanche, ceux plus récemment introduits d'Amérique sont pauvres en insectes associés, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient exempts de ravageurs.
La pomme de terre a mis du temps à s'imposer en France. Parmentier a dépensé des trésors d'imagination, dignes des meilleures agences de publicité modernes, pour arriver à faire changer d'avis ses contemporains. Ils se méfiaient de ce légume qui ressemblait trop aux plus dangereuses empoisonneuses de notre flore, comme la belladone. Ressemblance fondée sur des relations de parenté, puisque appartenant toutes à la famille des solanacées. Le tubercule n'était bon qu'à nourrir les bêtes. Il est aujourd'hui l'une des bases de notre cuisine, utilisé aussi bien par les grands chefs que par les fast-foods. C'est l'un des légumes les plus cultivés dans les potagers.
Son seul ravageur vraiment important chez nous est le célèbre doryphore. Cette chrysomèle vit à l'état sauvage dans les montagnes du sud-ouest des Etats-Unis, sur d'obscures plantes de la famille des pommes de terre. Quand les colons européens sont arrivés de l'est avec leurs champs de patates, l'insecte à trouver le plat à son goût et des conditions idéales pour pulluler. De proche en proche, il avait atteint l'océan Atlantique à la fin du XIXème siècle.
La barrière ne le contint pas longtemps. Dès le début des années 1920, il est signalé dans la région de Bordeaux. Il entame une inexorable conquête du Vieux Continent. Dans les années 1930 il parvient en Allemagne, dans les années 1940 en Russie. Aujourd'hui il a atteint l'ouest de la Chine et il continue à progresser.
A son arrivée en Europe, le doryphore s'est révélé une véritable catastrophe, capable de défolier un champ entier en quelques semaines. Des moyens considérables ont été débloqués pour trouver des méthodes de lutte efficaces. L'introduction d'ennemis naturels restés aux Etats-Unis n'a pas eu l'effet escompté. L'emploi d'insecticides n'a réglé que temporairement le problème, cette increvable bestiole développant assez rapidement des résistances. De nouvelles pratiques culturales ont également été testées.
Aujourd'hui, s'il reste un ravageur majeur aux Etats-Unis et en Russie, le doryphore a spontanément régressé en Europe occidentale et ne connaît que des pullulations cycliques. Il semble que ce soit dû à l'évolution génétique des populations, probablement issues d'un petit groupe d'insectes qui ont passé l'Atlantique, peut-être d'une femelle unique.
Certaines années pourtant, au printemps précoce et chaud, il pullule au point de menacer d'affaiblir sérieusement la culture. On peut alors traiter avec de la roténone en poudre, plutôt pour empêcher le carré de patate d'infester les jardins voisins que pour sauvegarder la récolte. Cela se produit tous les 3 ou 4 ans. Sinon, l'insecte reste très discret sur les pommes de terre. On le voit chaque année sur la morelle douce-amère, une solanacée sauvage de chez nous qui a l'avantage d'être présente au jardin dès la fin de l'hiver.